Contrairement à ce que La Vie écrivait dans son article du mois de février 2006 consacré au service civil, notre association n'est pas l'association pour la promotion du "service civil obligatoire", nous sommes simplement "l'Association pour la promotion du service civil".
Nous ne concevons pas le service civil dans le cadre institutionnel actuel, nous le concevons comme une modalité de refondation sociale et politique et nous pensons que sa généralisation serait un facteur de revitalisation du lien entre le citoyen et la Nation.
Aujourd'hui, trop souvent, l'une des justifications avancées pour soutenir la création d'un service civique obligatoire est de "redresser" la jeunesse.
Pour notre part, nous pensons que le service civil ne doit pas s'adresser à quelques uns seulement mais doit pouvoir être effectué par tous, quel que soit l'âge, quel que soit l'origine sociale, que l'on soit étudiant, avocat ou retraité, que l'on ait 18, 35 ou 65 ans.
Nous pensons en effet que le système institutionnel français souffre d'une réelle perte de légitimité due à l'effritement de son modèle éducatif méritocratique, à la faiblesse institutionnelle de son Parlement, à l'absence d'indépendance d'une justice conçue non comme un pouvoir mais comme une autorité.
En France, le jeu entre les pouvoirs et les contre-pouvoirs n'est pas suffisant et l'une des matérialisations les plus concrètes de ce phénomène reste l'explosion des dépenses de fonctionnement de l'Etat, financées par emprunt, sur le dos des générations à venir : quand le Parlement ne contrôle pas l'Exécutif, le déficit file.
L'Ecole, dont le but est d'imprimer à la jeunesse, et ainsi à la société, des chances égales de réussite et d'accomplissement, l'Ecole, la première institution de la méritocratie, celle qui, avec la libre entreprise, anime un puissant sentiment de progrès dans une société, cette Ecole est aujourd'hui en ruines : des ZEP sans moyens aux prépas privées indispensables pour préparer médecine (à plusieurs milliers d'euros l'année), aux facs de tiers-mondisées, le constat est catastrophique.
Ce phénomène sape en profondeur les fondements de notre pays.
Alors, dans ce système qui s'effondre, vouloir exiger de la jeunesse un service civique obligatoire pour la redresser, c'est, d'une certaine manière, l'accuser des erreurs que l'on a commises et que l'on s'avère incapable de rectifier.
La seconde erreur que l'on peut déceler chez les tenants actuels d'un service civique obligatoire, c'est la croyance en la toute-puissance des associations comme assurant l'unité d'une société ou en justifiant l'organisation.
Où est passé l'Etat ? où sont les collectivités territoriales, les administrations ? Toutes participent aussi à l'exercice de missions d'intérêt général.
Quand on parle de service civil avec les tenants du service civique obligatoire, l'essentiel semble être de faire en sorte que la jeunesse fasse du bénévolat forcé, une formule qui nous semble aussi maladroite que lourde d'effets. Combien de ressentiment fera-t-on naître au nom d'une générosité obligatoire ? combien de jeunes détournera-t-on des mouvements associatifs pour les y avoir forcés ? quel singulier manque d'imagination.
Non, le service civil est une modalité d'organisation politique qui permet de placer le citoyen au coeur de toutes les missions d'intérêt général, quelles qu'elles soient. Il ne faut pas en confondre le but : qu'il soit assuré par tous ou tous ceux qui le souhaitent, et l'un des moyens éventuels pour arriver à cette fin : le rendre obligatoire.
Alors que notre pays s'interroge sur sa raison d'être, le service civil pourrait revitaliser notre rapport aux autres, au monde et à la Nation. Tout d'abord il pourrait contribuer à faciliter une révolution éducative au coeur de l'Ecole et de l'Université. En effet, le service civil pourrait être une modalité de paiement des études par les étudiants, à la condition que les campus ne restent pas dans l'état actuel : qu'ils soient rénovés, qu'il règne sur eux un souffle neuf, que les enseignants se chargent personnellement des élèves et ne les laissent pas s'effondrer seuls (près de la moitié des étudiants initialement inscrits en premier cycle sortent de l'université sans diplôme). Dans ces conditions, chaque étudiant pourrait assurer des cours de soutien scolaire auprès des plus jeunes, ou encore participer temporairement à des missions au sein de l'Etat ou des collectivités locales dans les domaines dans lesquels il a été formé. Des étudiants en informatique pourraient mettre en place des réseaux wifi dans des hôpitaux, des étudiants en droit pourraient être assisants de justice dans les Tribunaux, des étudiants en sociologie réaliser des audits organisationnels, des étudiants en histoire assurer des cours de soutien dans leur matière pour des jeunes collégiens, etc.
Si l'on quitte le domaine de l'Education pour s'intéresser à la Justice, alors que l'on prête aux juges l'atavisme hiératique inhérent à leur passage par l'ENM, une sélection des juges parmi les meilleurs avocats permettrait à ces derniers d'acquitter leur impôt en industrie. Ne serait-ce pas une belle réforme ?
C'est là qu'est l'enjeu institutionnel fondamental du service civil : en plaçant chacun de nous au coeur de l'exercice de l'action publique, le service civil permet de lutter contre un phénomène beaucoup moins commenté et perceptible que la supposée décadence civique de la jeunesse : la lente virtualisation du politique et de l'organisation en commun provoquée notamment par le fait que nos représentations collectives sont aujourd'hui pour leur quasi majorité, véhiculées par l'image, virtualisées.
Pour notre association, le service civil est une modalité d'organisation de la vie publique et de la vie politique. Il permet de placer le citoyen au coeur des réalités politiques, administratives et sociales de son pays et de sa société.
Parce qu'il sensibilise et démontre concrètement et directement les enjeux et modalités d'administration de l'intérêt général, les enjeux, les questions, les pratiques et les modalités d'organisation de la vie en commun, le service civil n'a pas à être réservé aux seuls jeunes. Au contraire. C'est un catalyseur de l'action civique, un quasi contre-pouvoir, une modalité d'exercice de la citoyenneté. En l'effectuant, chacun d'entre nous sera, à n'en pas douter, beaucoup plus sensible à une bonne gestion publique.
Aussi, le seul service civil obligatoire que nous pourrions souhaiter possible de proposer au vote, par référendum, serait un service civil de 1 à 3 mois, de sensibilisation à l'action publique pour les jeunes citoyens, inscrit directement dans leur cursus d'études. Il serait un devoir tolérable si le pays agissait enfin pour corriger les dysfonctionnements du système éducatif.
Dans ce cadre, ce service civil de sensibilisation serait le premier élément d'un dispositif plus vaste qui pourrait être accompli sous sa forme volontaire, être effectué sous diverses formes et à n'importe quel âge, en tant que modalité de paiement de l'impôt ou des études, par exemple.
Dans tous les cas, si un service civil devait être rendu obligatoire, pour une période minimale, ce serait l'occasion pour la jeunesse d'exiger pour l'avenir de ce pays, plus de moyen et d'engagement, une réforme de l'Université, de l'Ecole, de la Recherche, une véritable politique de la ville et de l'entreprise, en résumé, l'inscription de cette mesure dans une perspective simple et neuve : c'est à la jeunesse de transformer le monde mais elle a besoin de moyens pour le faire, elle a besoin de pépinières d'entreprises dans les universités, de ne pas avoir à payer 15 000 euros de charges sociales les trois premières années de création d'une entreprise alors même qu'elle n'a pas de chiffre d'affaires, elle a besoin de classes de 15 élèves au plus dans les ZEP, de tous ces engagements qui pourraient rendre notre pays plus simple, efficace et méritocratique, sans fausse promesse de solidarité.
L'on sait, par exemple, d'après les recherches faites en économie de l'éducation que, dans les ZEP, des classes à faible effectif (15 élèves) auraient de réels résultats ; l'on sait que des pépinières d'entreprises dans les universités ou des fonds d'amorçage permettraient à de jeunes étudiants de créer les entreprises et les services de demain ; l'on sait que de ne plus cloisonner les filières et de permettre des doubles cursus faciliterait la vie sociale et l'épanouissement intellectuel des étudiants tout autant qu'ils favoriseraient leur création de valeur ajoutée ; l'on sait que des réseaux wi-fi gratuits dans chaque ville de France permettraient à chacun d'accéder à la plus gigantesque source de connaissance au monde ; qu'un ordinateur pour chaque enfant scolarisé créerait une génération numérique en avance sur tous les pays du monde.
Combien de temps faudra-t-il pour que la France retrouve sa voie, celle d'une société de la connaissance, ouverte, méritocratique et démocratique, fille de l'audace, de la liberté et de l'imagination ?
Nous avons ces combats à mener. Les solutions seront peut-être inattendues. Nous les chercherons !
Jean-Jacques Arnal
Texte modifié les 1 février et 7 avril 2007
PS : Ce texte est le dernier texte que j'écris et publie au nom de
l'association pour la promotion du service civil dont l'action cesse à partir d'aujourd'hui.
Je continuerai, en mon nom personnel, à publier sur ce blog, et j'essaierai de voir dans quelle mesure nous pouvons apporter des
solutions aux défis et aux enjeux évoqués.
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