Alors que l'idée du service civil semble gagner des partisans, nous souhaitons republier une note du 17 novembre 2005, "Service civil et société de la connaissance". Cette note présente en effet l'idée selon laquelle le service civil peut dépasser le simple cadre associatif pour se substituer, pour une part, à la fonction publique, diminuant de ce fait les dépenses de l'Etat et pouvant permettre de les réorienter vers des dépenses d'avenir, en faveur de la jeunesse, notamment celles consacrées à l'enseignement supérieur.
Service civil et société de la connaissance, texte initialement publié le 17 novembre 2005
La
République est sur le point de créer un service civil volontaire, mélangeant
des dispositifs préexistants d’une ampleur limitée que sont «Défense deuxième
chance» et «Cadets de la République » et l’encadrement du volontariat
associatif à travers l’initiative Unis-Cité.
Un
tel service volontaire et facultatif, si louable qu’il soit, reste malgré tout
contraire à l’idée même du service civil, qui repose sur l’idée de devoir, un
devoir précisément à la charge de tous les citoyens d’une nation une et
indivisible. Surtout, si le diagnostic que l’on porte est celui d’un pays happé
par la reproduction sociale et l’inertie, le brassage social ne peut avoir de
sens que s’il concerne tous les citoyens et non pas simplement quelques
uns ! Cependant une telle conception du service civil trouve des adversaires.
Le 9 novembre dernier, le Président de l’UMP et Ministre de l'Intérieur
rejetait l’idée d’un service civil obligatoire pour la raison qu’il n’offrait
pas la possibilité de «déboucher directement vers un emploi». Faire prévaloir
cette dimension d’insertion professionnelle immédiate mérite d’être examiné car
cette conception ouvre indirectement la voie à un service civil moderne.
Car
le service civil s’applique par définition à tous les domaines de la vie
civile, et porte, de ce fait, des potentialités directes et indirectes de
transformation. Sans répondre immédiatement à la question relative à la
formation professionnelle, constatons ainsi qu’il permettrait tout d’abord de
compléter les dotations en moyens humains des associations et de certains
domaines essentiels de l’action publique que sont la santé, la justice, la
police ou encore l’éducation. De ce fait, il les rendrait plus efficaces et
l’on sait que de nombreuses fonctions pourraient être assurées par de jeunes
citoyens, a fortiori s’il s’agit de leur domaine de compétence initiale.
Surtout,
dans un domaine fondamental, celui de l’éducation, le service civil pourrait
permettre de lever une véritable armée de jeunes assistants offrant,
spécialement aux enfants issus de milieux défavorisés, des cours de soutien
direct ou encore des cours d’ouverture et d’approfondissement visant à les
doter d’un véritable capital culturel, selon le modèle initié par l’ESSEC et repris
à une échelle encore trop limitée par la Charte pour l’égalité des chances dans
l’accès aux formations d’excellence.
Mais
ces effets-là, directement visibles, ne seraient pas les seuls. Le service
civil est en effet l’un des éléments susceptibles de favoriser l’adoption de
mesures structurelles dont les effets à long terme pourraient être
considérables, surtout sur le plan économique.
Le
service civil a en effet vocation à intervenir, pour une partie, dans le champ
d’action dévolu à la puissance publique et à ses agents. De ce fait, il
permettrait de s’y substituer pour un coût inférieur. Les gains budgétaires
entraînés par cette substitution du service civil à certains postes de la
fonction publique pourraient être directement affectés à des dépenses d'avenir
c'est-à-dire des dépenses d’investissement. Dans une économie ouverte et
mondialisée dont le moteur fondamental est l’innovation, ces économies
pourraient être affectées en priorité à l’éducation supérieure qui constitue le
déterminant décisif de la croissance à long terme d’une nation et qui est un
domaine dans lequel la France a malheureusement perdu pied.
Aujourd’hui,
en effet, les pays les plus dynamiques économiquement, comme la Finlande ou la
Suède, réussissent à porter près de 70% d’une classe d’âge à l’université
contre 37% en France. Le système français, rappelons-le, est considéré par tous
les observateurs comme largement inefficace et caractérisé par un processus
plus ou moins hypocrite d’exclusion. Ce système d’une méritocratie sans
égalité, le service civil pourrait contribuer à le transformer en un système
ouvert qui, pour sa composante publique, se fondrait sur l'engagement de
servir. En contrepartie, il appartiendrait à l’Etat de prendre en charge
l’intégralité des dépenses universitaires et de placer les campus français au niveau des meilleurs mondiaux,
notamment en matière d’encadrement et de moyens informatiques.
On
aurait donc tort de balayer le service civil d’un revers de main car il
pourrait contribuer à recharger la signification de notre organisation
politique tout en favorisant l’émergence d’une société ouverte bâtie sur la
connaissance, plaçant la République à l’avant-garde des démocraties
occidentales.
Jean-Jacques
Arnal et Benjamin Djiane
Les commentaires récents